Une partie de campagne, la famille, les amis, la politique… ils sont 14 à se croiser, se chercher, se chamailler, l’amour, l’amitié les lient… ils sont 14 à partager des repas improvisés, pique-nique sur la terrasse, ça rit, ça braille, ça se pique, ça boude, ça se fâche et se réconcilie, ça parle de tout, ça parle de rien, et au détour d’une plaisanterie un regard, une confidence, une blessure se dévoilent… A la manière d’un Tchékhov contemporain, trois scènes de groupe structurantes sont émaillées de petits duos plus intimistes, moins de faux-semblants, plus de vérité crue, et un drame qui resurgit à l’arrivée de l’intru, comme si toute la nature, ses eaux viciées, ses cerfs rôdeurs avaient annoncé la disparition inexorable d’Anna, la première arrivée, et celle dont on suivra tous les mouvements, les silences, les émotions…
L’enjeu de la mise en scène sera de donner corps à ces scènes chorales, les intégrer dans un espace évolutif, déstructuré qui permet de rebattre les cartes des accords et désaccords. Bousculer ces scènes par le surgissement non réaliste des scènes de duos, comme une manière d’accélérer le temps, de jouer des ellipses, qui nous feront traverser ces trois jours à l’aune du destin d’Anna. Anna, celle qu’une caméra cachée (est-ce Alexis le vidéaste ?) traquera tout au long du spectacle, dans les scènes chorales, ses paroles et surtout ses silences, ses absences encore plus… Des corps multiples, des corps chorégraphiés au rythme d’un univers sonores mêlant bruits de la nature, brâme de cerf comme une mélodie envoutante annonciatrice d’une issue incertaine et bouleversante…
Alors que ces dernières années marquées par la pandémie, nous avons plutôt porté des pièces pour un ou deux acteurs, livrées dans des formes modestes et devant des publics restreints, Steve et moi prenons le parti de recommencer à rêver d’une vaste distribution sur scène. Nos esprits sont formatés pour engendrer des oeuvres raisonnables, pouvant être montées dans les limites financières des théâtres qui nous accueillent, des compagnies qui nous produisent et nous moulons nos imaginaires à ces contraintes sans nous rendre compte que tout ceci nous rapetisse, rabote certaines de nos créations, amenuise le champ de nos possibles. Ce projet est un pied-de-nez à cette pensée réductrice, un acte de foi envers les arts vivants.
crédits photos : Christophe Péan
Captation réalisée par Florent Houdu