Je ne pense plus que mon écriture peut changer le monde, qu’elle peut éviter la tragédie. Mais au moins peut-elle la nommer…
« … Un nouveau théâtre populaire… ! Tu veux inventer aujourd’hui un nouveau théâtre populaire ? … Eh bien, mon vieux t’as du courage. Du courage et une sacrée dose d’innocence…
Aujourd’hui, c’est la télé qui fait la loi, mon vieux. Les gens veulent se divertir, oublier ce qui les fait souffrir. Et on veut les faire taire, les gens ! Les anesthésier pour qu’ils oublient qu’on se sert d’eux comme d’un briquet jetable…
Et toi, tu veux les attirer au théâtre ? Tu veux les faire réfléchir, transmettre la parole des poètes, comme tu dis, conduire le public à s’interroger sur ce qui lui donne du bonheur ou sur ce qui le fait souffrir pour donner du sens à son tourment et, sinon le vaincre, au moins le nommer…
Mais tu rêves, mon vieux ! Sisyphe, à côté, était un amateur ! »
Eh bien non je ne rêve pas !
Si le parcours d’un artiste se construit de l’apprentissage jusqu’à la professionnalisation par des rencontres, souvent fortuites, certaines sont de nature à engendrer des projets et de réalisations artistiques qui dépassent les perspectives individuelles. De ces rencontres, ces collaborations sont nées ma croyance en un théâtre utile au monde. Un rêve de théâtre.
Mon parcours théâtral et mon expérience en tant qu’artiste associé à d’importantes structures culturelles, mes collaborations régulières avec les institutions culturelles belges, et bien évidemment ma dernière expérience à la tête du Théâtre du peuple de Bussang, m’ont permis de forger une pensée artistique, politique et éthique.
Ce parcours, tout au long de ces années, résolument tourné vers l’écriture contemporaine, en étroite connivence avec les auteurs vivants, m’a permis de façonner une esthétique personnelle pariant sur le frottement et la complémentarité des Arts de la scène (théâtre – danse – chant lyrique – musique – vidéo). Ce qui m’amène à jeter des ponts entre les gens et les théâtres. La qualité du texte et de la langue sont parmi mes préoccupations principales. Mon théâtre propose un engagement du regard du spectateur sur le monde dans lequel il vit, un engagement de l’acteur dans la représentation physique et émotionnelle du personnage, un engagement des scénographies qui s’éloignent radicalement des traitements naturalistes. Prônant le métissage artistique, mon théâtre, résolument ancré dans le monde actuel, se veut aussi un théâtre d’action culturelle où le dialogue avec le spectateur est essentiel, la transmission fondamentale. C’est ce souci du public qui me pousse à lui offrir des spectacles vivants, modernes, colorés, baroques. C’est mon amour de la langue qui me fait rechercher des auteurs originaux et des textes nouveaux, pertinents et qui parlent du monde au monde. Mais j’aime trop mêler les genres et les gens pour dédaigner les textes classiques. A Bussang, j’ai appris à goûter au plaisir de revisiter ce répertoire, à parier sur la présence de musiciens, à parier sur l’exigence et la rigueur. Je joue avec bonheur et passion de toutes les formes de théâtre, petites formes itinérantes, pièce jeune public, répertoire contemporain pointu et spectacles populaires à distribution conséquente. C’est dans ce souci de variété et de curiosité que j’ai toujours fait mes choix artistiques ; c’est de cette manière que j’essaye de m’adresser à tous les publics, de concerner l’ensemble des structures culturelles, de la petite salle municipale, en passant par un théâtre universitaire, jusqu’aux Scènes Nationales et aux Centres Dramatiques Nationaux. Que vaut la plus belle œuvre d’art si elle n’est pas vue : la diffusion est une obsession nécessaire.
Et c’est bien dans cette perspective que je porte ce projet ambitieux pour ces trois années à venir : trois créations, un grand classique musical, une pièce jeune public et une commande d’écriture à un auteur vivant.